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L’apport des outils numériques à l’étude de l’apprentissage de l’écriture

Publié le 23 janvier 2017

Denis Alamargot présente les objectifs du projet de recherche « NUMEC » retenu par l’ANR et le FRQSC dans le cadre d’un appel à projets franco-québécois en sciences humaines et sociales (UPEC-Université de Sherbrooke).

Date(s)

le 23 janvier 2017

Quel est le contexte général du projet ?

Piloté par Denis Alamargot (UPEC) et Marie-France Morin (Université de Sherbrooke), le projet NUMEC vise à développer des outils numériques novateurs pour étudier l’écriture et améliorer son apprentissage, en France et au Québec. Ce projet est l’un des dix retenus dans le cadre de l’appel franco-québécois en SHS, domaine numérique/traitement des données.
Ce succès est l’aboutissement d’un processus de collaborations engagées depuis plusieurs années entre les deux équipes : française « Cognitions humaine et artificielle » (CHArt-UPEC), et québécoise « Chaire de recherche sur l’apprentissage de la lecture et de l’écriture chez le jeune enfant » (CREALEC de l’Université de Sherbrooke).
A l’origine, un précédent projet soutenu par l’ANR sur la dynamique des traitements orthographiques (projet DYTO), une convention UPEC-Université de Sherbrooke, un contrat de coopération universitaire franco-québécoise (CFQCU) sur des questions d’écriture et de nouvelles technologies, puis, en 2015-16, un soutien « 1er cap » par la commission recherche de l’UPEC.

Quels sont les principaux objectifs ?
Le but principal du projet NUMEC est d’approfondir l’apprentissage du geste graphomoteur impliqué dans le tracé des lettres, en comparant les performances d’élèves français et québécois.
L’apprentissage du geste graphomoteur s’étale sur plusieurs années, et implique différentes habiletés comme la motricité globale (maintien de la posture), la motricité fine (manipulation du crayon ou du stylet), la coordination visuo-motrice (pilotage du geste), ainsi que des connaissances relatives aux lettres (style, nom, son, etc).
Il faut 3 à 4 ans pour « installer » en mémoire (vers l’âge de 9-10 ans donc) les programmes moteurs indispensables aux élèves pour tracer rapidement et précisément les lettres. Il faut ensuite autant d’années pour automatiser pleinement ces programmes (jusqu’à 13-14 ans).
Tant que ces aspects graphomoteurs de l’écriture ne sont pas maîtrisés, le coût cognitif (attentionnel) associé au « simple » tracé des lettres est tel qu’il va gêner, chez certains élèves (y compris au collège), les calculs orthographiques et provoquer des erreurs lexicales ou grammaticales.

L’originalité de NUMEC est de conduire une comparaison fine des élèves des deux pays, qui partagent la même langue, la même orthographe, mais pour lesquels les conditions d’apprentissage de la graphomotricité diffèrent.
En effet, au Québec, c’est d’abord l’écriture scripte (écriture bâton/détachée) qui est apprise, avec une introduction tardive de l’écriture cursive (attachée), en deuxième année de primaire (CE1) ; alors qu’en France, c’est l’écriture cursive qui est travaillée dès la fin de la grande section de maternelle, puis systématisée à partir du cours préparatoire (CP).

De même, le temps de préparation à l’écriture diffère à l’école maternelle entre les deux pays (trois années de maternelle en France contre une au Québec).

Pour déterminer les meilleures conditions d’apprentissage de la graphomotricité et ses conséquences sur la réussite orthographique, des mesures en temps réel (via une tablette à digitaliser synchronisée avec un oculomètre et des caméras digitales) seront réalisées auprès des jeunes scripteurs, et les données recueillies (analyse de la posture, de la cinématique du geste d’écriture, du contrôle oculaire des trajectoires...) feront l’objet de traitements mathématiques complexes pour extraire des « patterns » caractéristiques du niveau des élèves.
Pour ce faire, le projet mobilise les expertises conjointes de psychologues cognitivistes, de psychologues de l’éducation, d’informaticiens et de mathématiciens.

Quel est le phasage du projet ?
NUMEC débute en janvier 2017, pour une durée de trois ans. L’UPEC accueille l’équipe québécoise les 20 et 21 février prochains, pour le lancement officiel.

La 1ère année sera consacrée au déploiement de l’environnement technique, informatique et mathématique (algorithmes, data-mining) du projet.
Il s’agit là de l’un des domaines de compétences de l’unité de recherche CHArt, dont l’une des spécificités est d’étudier l’apprentissage de l’écriture en recourant à des outils numériques de mesure.
Le fait d’adjoindre à l’analyse des mouvements oculaires et graphomoteurs celle de la posture chez l’élève est une véritable première d’un point de vue méthodologique et scientifique.

Les années 2 et 3 permettront, grâce aux développements de la 1ère année, de répondre aux questions d’apprentissage posées, de publier les premiers résultats, et de transmettre auprès des ministères compétents, français et québécois, les recommandations.

Quels sont les enjeux internationaux ?
La place prépondérante qu’occupe aujourd’hui l’écriture, notamment via les outils numériques, pose, à un niveau international, la question de l’efficacité de son apprentissage.
Les pratiques sont très variables d’un pays à un autre et font l’objet d’un fort questionnement. La Finlande, et plus récemment l’Ontario, ont par exemple rendu optionnelle l’écriture cursive, se calquant en cela sur la plupart des pays anglo-saxons qui en demeurent à un apprentissage exclusif de l’écriture scripte. Une décision plus radicale encore des Etats-Unis, prise dans le cadre des "orientations de programmes scolaires communes pour 2014 en mathématiques et en anglais", et très discutée dans la communauté scientifique, a rendu l'apprentissage de l'écriture manuscrite optionnel dans 45 Etats, privilégiant le clavier (ordinateur ou tablette) comme outil d’acquisition.
Dans ce contexte international et sociétal, les résultats de cette étude franco-québécoise vont permettre d’étayer scientifiquement les pistes à privilégier, notamment quant au style d’écriture à retenir en fonction de l’âge et du degré de préparation des élèves.
En effet, si l’écriture cursive implique des gestes plus complexes à acquérir, elle a pour avantage de délimiter le mot, contrairement à l’écriture scripte qui, plus simple sur le plan moteur, induit plus fortement des risques de confusion entre des lettres moins bien différenciées.

Avez-vous un accès au terrain dans les classes ?
Au Québec, l’équipe dispose déjà d’un large accès aux classes et aux élèves.
A l’UPEC, le projet bénéficie de l’appui de l’ESPE de l’académie de Créteil, interface entre le rectorat, les écoles dans l’académie et les laboratoires.
Dans ce contexte, un soutien a été apporté par la Directrice académique des services de l’éducation nationale (DASEN) de Seine et Marne, Mme Patricia Galeazzi, donnant un accès privilégié aux classes pour réaliser les mesures. Cette initiative est très importante car elle permet à la fois d’accélérer les investigations et d’engager des échanges fructueux, sur le terrain, entre chercheurs et enseignants.

Quels sont les partenaires impliqués ?

Il s’agit d’un projet bilatéral, subventionné par l’ANR et par le FRQSC.
Outre les membres des équipes pilotes CHArt (quatre co-tutelles (Université paris8, Université paris10, UPEC et Ecole pratique des hautes études) et du CREALEC (université de Sherbrooke),  déjà mentionnées, NUMEC implique de nombreux partenaires.

Côté français :
> Université de Toulouse 2,
> Université de Rennes 2,
> Université de Grenoble,
> Université d’Orléans-Tours
> Université Paris Descartes/INSERM

Côté québécois :
> HEC Montréal
> Ecole Polytechnique de Montréal
> Université de Chicoutimi

Quels sont les liens avec la formation ?

Les résultats et les préconisations seront présentés au ministère de l’Education nationale, en France et au Québec. Une partie de la dissémination sera réalisée via les différentes ESPE des universités partenaires, auprès des enseignants, en formation initiale et continue, pour une meilleure pratique basée sur les résultats probants de la recherche.

Pour en savoir plus

NUMEC « Apport des outils NUMériques pour étudier l’ECriture et améliorer son apprentissage, en France et au Québec »  est porté au sein de l’UPEC par Denis Alamargot, professeur des universités en psychologie cognitive, responsable UPEC de l’unité de recherche Cognitions humaine et artificielle (CHArt), et au sein de l’université de Sherbrooke, par Marie-France Morin, professeur titulaire en psychologie de l’éducation et titulaire de la chaire de recherche CREALEC

Les travaux de Denis Alamargot sur la mise au point d’un dispositif d’analyse des mouvements oculaires pendant l’écriture, sont à l’origine de deux brevets, protégeant le logiciel « Eye and pen », aujourd’hui utilisé dans plus de 30 laboratoires, en Europe, au Canada ou encore aux Etats-Unis.